Pierre Bono, directeur général du CODEM : « L’heure de la massification des matériaux biosourcés est arrivée ! »

Innover, évaluer, industrialiser… Alors que le secteur du bâtiment représente en France près de 30% des émissions de CO2, les matériaux biosourcés franchissent un nouveau cap. Qu’ils soient en fibre de bois, lin, chanvre, colza, herbe ou textile recyclé, l’objectif de neutralité carbone en 2025 couplé au contexte réglementaire de la RE2020 dopent ces solutions innovantes, locales mais souvent méconnues. Pour y remédier, le CODEM intervient auprès des maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre sur l’ensemble de l’éco-conception des bâtiments, de la sélection variétale à la pose des systèmes constructifs. Point d’orgue de cette démarche vertueuse, notre journée du Biosourcé pour le Bâtiment en Hauts-de-France organisée le jeudi 10 juin à Amiens en lien avec une quinzaine de partenaires. A quelques semaines de l’événement, Pierre Bono, directeur général, nous partage sa vision sur l’évolution du secteur et se projette sur les nouveaux usages dans le bâtiment…

À quel stade de développement se situent aujourd’hui les matériaux biosourcés ?

Pierre Bono : Les matériaux biosourcés sont une réalité ! La construction bois représente désormais près de 10% de la construction neuve en France. Quant aux isolants d’origine végétale, ils occupent au moins 10% de part de marché avec des taux de croissance deux fois plus rapide que ceux du marché de l’isolation classique. Cela veut dire deux choses : d’abord que les solutions existent dans le secteur du bâtiment, mais qu’ensuite, elles restent encore méconnues. Les marges de progression sont immenses !

Comment alors démocratiser ces solutions bas-carbone dans la construction des bâtiments ?

Pierre Bono : Nous devons faire preuve de pédagogie. La France est d’ailleurs en retard par rapport à ses voisins européens, notamment l’Allemagne ou l’Autriche. Pour les rattraper, nous devons montrer la réalité des matériaux biosourcés aux maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrage : ils sont faciles d’utilisation, sûrs, assurables, produits localement et sont posés dans les règles de l’art. Bref, le biosourcé a tout pour séduire et poursuivre son développement ! Mais faute d’explications, de fausses peurs ou des idées reçues circulent. Quand il s’agit de nouveaux usages, ces freins sont classiques et compréhensibles. A nous de les lever, d’être objectifs et montrer par l’exemple que cette offre – en plus de répondre à des besoins environnementaux – est de qualité et adaptée aux constructions neuves comme aux chantiers de rénovation d’aujourd’hui.

« L’isolation biosourcée bénéficie d’une croissance de 10% par an »

Quels sont les filières et les solutions les plus avancées ?

Pierre Bono : Sans hésitation la construction ossature bois et l’isolation biosourcée. Pour l’ossature bois, l’interprofession Fibois avec l’appui de la Région Hauts-de-France et l’ADEME ont pu mettre en place des filières issues de bois d’essences locales. C’est un dispositif clé en Région et inspirant au niveau national. Une plateforme permet d’anticiper les disponibilités des matériaux et de faciliter leur accès. L’isolation biosourcée, au cours des 5 dernières années, a vu son taux de croissance progresser de plus de 10% par an. Les produits proposés sont faciles à poser et amènent des solutions très concrètes. Ils permettent par exemple d’améliorer le déphasage thermique, c’est-à-dire de ralentir le temps de pénétration de la chaleur dans le bâtiment. Il passe de 6 à 12 heures, contre 4 seulement avec de la laine de verre. C’est un point clé et les résultats sont très visibles ! Ces isolants biosourcés sont disponibles pour tous types d’usages, que ce soient les isolants bois, la ouate de cellulose, les isolants en textiles recyclés, à base d’herbe ou de type chanvre. Actuellement, leur utilisation est forte.

D’autres solutions biosourcées moins connues ou plus confidentielles sont déjà présentes dans notre quotidien ou tentent de s’imposer…

Pierre Bono : C’est vrai, et elles sont de moins en moins anecdotiques ! Il peut s’agir de solutions anciennes comme le linoléum, principalement issu de la biomasse puisque composé d’huile de lin, de farine de bois et de colophane de pin, ou de peintures issues aussi de matériaux biosourcés sans qu’on le sache toujours. Et puis il y a la construction paille et les bétons végétaux tels que les bétons de chanvre qui prennent leur envol ces dernières années avec l’émergence de solutions de préfabrications (murs préfabriqués, blocs…). Afin d’accompagner ces mutations la structure nationale Construire en Chanvre fait évoluer les Règles Professionnelles d’Exécution et d’Ouvrage en Béton de Chanvre. Les appels d’offres remportés sont de plus en plus nombreux, en témoignent les réalisations à venir dans le cadre du village olympique de Paris 2024. Les immeubles collectifs s’en saisissent également. Tous les feux sont au vert…

« Le biosourcé permet de produire local au pied des usines de fabrication des matériaux »

La recherche de matériaux issus de ressources locales joue-t-elle dans ce développement ?

Pierre Bono : Elle est décisive. Les Français veulent favoriser davantage les circuits courts, y compris dans la construction et la rénovation pour qu’elle soit durable. Les matériaux biosourcés répondent à cette logique de proximité. En Auvergne-Rhône-Alpes et en Provence-Alpes-Côte-d’Azur par exemple, les isolants à base de paille de riz trouvent leur public. Dans les Hauts-de-France, c’est la filière de la construction paille qui se structure sous l’impulsion du CD2E (Centre de développement des éco-entreprises), ou celle du lin qui cherche sa place dans le domaine des bétons avec le BATILIN impulsé par L.A. Linière au cœur du bassin mondial de production de ce végétal. Pareil pour les bétons à base de paille de colza dont la ressource peut être récoltée partout en France au pied des usines ! De par son ancrage au territoire, la biomasse permet de produire localement une ressource utilisable dans le bâtiment. L’enjeu est aujourd’hui d’en massifier les usages.

Avec la prochaine entrée en vigueur de la réglementation RE2020, le contexte vous semble-t-il favorable ?

Pierre Bono : Indéniablement oui. Bien sûr il faut se méfier des effets d’annonce de la RE2020 mais aujourd’hui, l’ensemble des politiques publiques – quelles soient nationales, européennes ou mondiales – sont tournées vers l’objectif de neutralité carbone en 2050. L’impulsion est là. Pour le bâtiment qui représente près de 30% des émissions de CO2 en France, cela veut dire une annulation totale des rejets carbone. Cela passe par l’utilisation massive des éco-matériaux : c’est à dire de matériaux et systèmes constructifs à faible impact carbone, qu’ils soient issus de solutions traditionnelles, recyclées ou biosourcées. C’est ce que nous croyons depuis bien longtemps car la question de l’empreinte environnementale des matériaux et des systèmes constructifs est dans l’ADN du CODEM. Pour autant, l’histoire nous a montré que pour parvenir à de tels objectifs, tous les acteurs doivent avancer dans le même sens, cela demande du temps, de l’adhésion et de la pédagogie, en sortant des logiques d’opposition où les raccourcis veulent nous emmener.

« La RE2020 pousse à imaginer des mixes de solutions complémentaires pour répondre aux objectifs de neutralité carbone. Le biosourcé est l’une des solutions »

Quel est l’enjeu de cette course de fond ?

Pierre Bono : Nous assistons à un changement de paradigme avec un engouement fort pour nos produits. Ce n’est pas une, mais tout un panel de solutions qu’il faut mettre en œuvre pour réussir ensemble : produits traditionnels, issus de matières recyclées ou de biomasse. La RE2020 pousse à développer ces complémentarités. Il faut imaginer les mixes possibles, comme entre le bois et le béton. Il est clair que le temps de la recherche est en train de se faire rattraper par la réalité. Certaines données, notamment sur les cycles de vie des matériaux, sont encore lacunaires, il y a donc encore du travail à faire pour éviter toute déconvenue. Mais regardez la filière chanvre : il y a 5 ans on ne parlait que de pose manuelle demandant des temps de séchage longs, aujourd’hui en 10 jours vous avez un bâtiment ! Une révolution collective est nécessaire pour conduire et poursuivre ce changement. Nous ne sommes qu’au début de la massification.

Quelle part prend le CODEM dans ces transformations en cours ? Vous êtes précurseurs…

Pierre Bono : Le rôle d’un centre technique comme le nôtre s’inscrit avant tout dans un jeu collectif réunissant toutes les parties prenantes de la filière bâtiment. Depuis la création du CODEM en 2007, nous sommes un acteur de référence pour développer des solutions bas-carbone pour le bâtiment. Nous accompagnons les industriels quel que soit le stade de maturité, de réflexion ou de développement de leur projet. Des essais en laboratoire sont réalisés, puis à l’échelle pilote et à l’échelle industrielle. Pour les partenaires et clients – notamment les PME – nous les accompagnons jusqu’à la mise en marché, le contrôle qualité et la production industrielle sur les premiers lots grâce à notre halle technologique. Ce « Batlab » est un banc d’essai grandeur nature unique en Europe, un atout pour les industriels qui font appel à nous. Avec notre capacité à accompagner la réalisation de chantiers témoins et de démonstrateurs, nous intervenons ainsi sur toute l’éco-conception des bâtiments, de la sélection variétale à la pose des matériaux. L’objectif est simple : aider les maîtres d’ouvrages et maîtres d’œuvres à optimiser l’impact environnemental des matériaux qu’ils choisissent. Pour se faire, nous nous appuyons sur un ensemble de projets collaboratifs qui permettent de renforcer nos bases de données et mettre au point des solutions compatibles avec les différentes normes en vigueur. Rien ne serait possible sans l’appui constant de la Région Hauts-de France, de l’ADEME et du FEDER.

« Se former aux biosourcés ne veut pas dire complexité ! »

Vous prenez donc part à la structuration de la filière ?

Pierre Bono : Absolument. C’est pour cette raison que le CODEM est atypique : nous dépassons notre rôle de centre technique. Dès le début, nous avons fait le choix d’être hyper actifs dans cette structuration de la filière des matériaux biosourcés et de la construction durable car les besoins sont croissants. Nous souhaitons contribuer activement au déploiement de ces technologies, en soutien au secteur. Pour nous, l’idée est de ne pas faire à la place de solutions existantes, mais de faire quand il manque des éléments, avec des acteurs qui ont une légitimité d’action.

Former aux matériaux biosourcés devient une nécessité…

Pierre Bono : Oui, mais il est nécessaire que l’on sache à quel moment la formation doit intervenir. Dans nos métiers, il faut être le plus efficace possible. Notre partenaire le CD2E propose différentes formations notamment dans les Hauts-de-France. Des publications régulières viennent compléter l’offre, comme le « Guide de la rénovation de parois à l’aide de matériaux biosourcés », ou le « Guide des produits biosourcés pour les acheteurs publics et privés ». Ce sont autant d’aides destinées à la pose des solutions. Et puis des réflexions sont également en cours pour former les équipes au moment où elles vont entrer en chantier, quand le besoin est immédiat. Ce qui est sûr, c’est que la formation est un axe fort et que le biosourcé ne veut pas forcément dire complexité !

« Toute la chaîne de valeur est représentée le 10 juin : la journée du biosourcé pour le bâtiment fera date »

Comment la journée du 10 juin entend-elle répondre aux besoins des maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, artisans ou entreprises générales ?

Pierre Bono : Cette journée du « Biosourcé pour le Bâtiment en Hauts-de-France » est un rendez-vous qui fera date. Comme l’indique le sous-titre de l’événement, c’est le passage obligé sur la route de la massification des solutions biosourcées pour la construction et la rénovation. A travers des ateliers concrets de pose d’isolants biosourcés, de pose de bétons végétaux, de discussions ou de témoignages de professionnels du secteur et de remise du prix de la construction bois 2021 Hauts-de-France par Fibois, les participants vont trouver les réponses à leurs questions. L’idée est de rassembler toute la chaîne de valeur en un seul et même lieu. Avec un message clair à destination des artisans, des entreprises, des maîtres d’ouvrage et des maîtres d’œuvre : construire durablement avec des matériaux locaux et à faibles émissions, ça marche ! Un grand merci à Philippe Vasseur, président de la Mission Rev3, Hervé Pignon, directeur de l’ADEME Hauts-de-France et Laurent Degroote, président de CESER Hauts-de-France d’avoir fixé ce cap clair il y a 1 an et demi alors que nous étions encore en plein premier confinement. Le 10 juin, les solutions biosourcés seront sous nos yeux, il n’y aura alors plus qu’à… 

Pour le CODEM, la journée du biosourcé est une étape importante dans votre développement… 

Pierre Bono : Avec cet événement, nous revenons à notre cœur de métier historique : mener des actions de démonstration et d’information. C’est notre vocation de centre technique. Grâce à notre équipe et nos partenaires, notre plateforme technique le « Batlab » et notre laboratoire d’essai sous accréditation COFRAC, notre accompagnement vers l’industrialisation et la massification des solutions biosourcées est complet. Nos partenaires peuvent vérifier sur le terrain les atouts des produits et la faisabilité de leur projet. Les fibres de lin, de chanvre, le colza, la paille de céréales, la biomasse forestière… Ces matériaux n’ont pas de secret pour nous ! Notre ambition est désormais de rendre accessible ces solutions à l’échelle régionale et nationale. Nous allons renouer avec les actions de terrain dans une logique partenariale car on est toujours plus fort ensemble, comme en témoigne la quinzaine de partenaires mobilisés pour le plein succès du 10 juin. La journée du biosourcé pour le bâtiment en Hauts-de-France n’est donc qu’un premier rendez-vous qui va en appeler d’autres très rapidement !

   *Interview réalisée par Le Crieur Public